La Cour de cassation vient rappeler que la clause de non-concurrence du contrat de location gérance doit être limitée aux locaux à partir desquels l’activité a été exercée pendant la durée du contrat et ne pas excéder une année après sa résiliation.
Elle précise également que si une pratique n’est pas interdite par le droit de l’Union, elle peut l’être par le droit national.
Afin d’exploiter un magasin d’alimentation générale sous enseigne – de type supermarché de proximité – une société signe en 2018 avec un leader en la matière un contrat de location-gérance, un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement.
Le contrat de location-gérance comportait notamment une clause selon laquelle à son expiration, le locataire-gérant s’interdisait d’exploiter un fonds de commerce de même nature pendant un délai de cinq années à compter de la résiliation, dans un rayon de 5 kilomètres à vol d’oiseau du fonds loué en milieu urbain et 15 km en milieu rural.
En 2021, le loueur dénonce le contrat de location-gérance.
En 2022, le locataire-gérant crée une nouvelle société afin de pouvoir exploiter une enseigne concurrente dans la même rue et à quelques numéros seulement de distance de son ancien magasin.
Pour faire stopper les travaux d’aménagements du magasin, le loueur saisit le juge des référés en soutenant que l’ouverture de ce commerce constituait une violation manifeste de la clause de non-concurrence figurant dans le contrat de location-gérance.
Le juge des référés entend les arguments du loueur et interdit à l’ancien locataire-gérant d’ouvrir son commerce en attendant que le juge du fond se prononce sur cette question.
Cependant la Cour d’Appel de Nancy infirme ce jugement par un arrêt du 5 octobre 2022 estimant que :
« La licéité de la clause, au regard des dispositions des articles L 341-1 et L 341-2 du Code de Commerce n’apparait pas avec l’évidence requise devant le juge des référés ».
La Cour de Cassation valide par un arrêt en date du 15 mai 2024 la position adoptée par la Cour d’Appel de Nancy.
Si la solution n’est pas nouvelle, les arguments avancés par le locataire-gérant le sont davantage puisque celui-ci fait valoir comme argument la primauté du droit européen de la concurrence sur la réglementation nationale estimant que :
« La clause de non-concurrence insérée dans un accord vertical conclu entre le franchiseur et le locataire-gérant n’apparaissait [pas] avec évidence licite au regard de la prohibition prévue à l’article L. 341-2, I, du code de commerce, la cour d’appel a méconnu l’article 101, paragraphe 3, du TFUE, l’article 3 du règlement (CE) n° 1/2003 du 16 décembre 2002, les article 2, 3 et 4 du règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010, ensemble le principe de primauté du droit de l’Union ».
A ce titre, la Cour de Cassation répond que :
« Le fait que, faute d’entrer dans le champ d’application de l’article 101 du TFUE, lequel est limité aux ententes qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une pratique ne tombe pas sous le coup de l’interdiction édictée par cet article ne fait nullement obstacle à ce que cette pratique soit considérée par les autorités nationales sous l’angle des effets restrictifs qu’elle peut produire dans le cadre interne et ne les empêche pas d’appliquer à ces accords des dispositions du droit interne de la concurrence éventuellement plus strictes que le droit de l’Union en la matière ».
La Cour de Cassation conclut ensuite que le moyen soulevé par le franchisé, nouveau et mélangé de fait et de droit n’est pas recevable et qu’il n’y a donc pas lieu de renvoyer la question préjudicielle suggérée par le franchiseur.
Sur la licéité de la clause de non-concurrence, la Cour de Cassation précise ensuite que :
« Après avoir énoncé qu’une concurrence légalement mise en œuvre n’est pas de nature à créer un dommage aux concurrents, retenu que les contrats de location-gérance, de franchise et d’approvisionnement avaient pour but commun de permettre l’exploitation du magasin situé [Adresse 3] à [Localité 5] et relevé que la clause de non-concurrence stipulée au contrat de location-gérance, invoquée par la société Carrefour proximité, interdisait au preneur d’exploiter un fonds de commerce de même nature pendant un délai de cinq années à compter de la résiliation, dans un rayon de cinq kilomètres à vol d’oiseau du fonds loué en milieu urbain et quinze kilomètres en milieu rural, la cour d’appel, qui n’a pas interprété l’intention des parties, a pu en déduire, sans excéder ses pouvoirs, que la licéité de cette clause de non-concurrence, qui n’était pas limitée aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerçait son activité pendant la durée du contrat et excédait une année après la résiliation du contrat, n’était pas établie avec l’évidence requise en référé au regard des dispositions de l’article L. 341-2 du code de commerce, de sorte que la société Carrefour proximité ne démontrait l’existence ni d’un dommage imminent ni d’un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser ».
Il est intéressant de noter que cet arrêt est publié au Bulletin, la Cour de Cassation souhaitant sans doute attirer l’attention des juristes sur sa position à cet égard.