Un petit arrêt pour un grand revirement.
Le 29 novembre 2023, la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation[1] est revenue sur une jurisprudence constante depuis une bonne vingtaine d’années et, une fois n’est pas coutume, dans le sens d’un assouplissement.
En précisant les modalités relatives à la signature d’un engagement par une société en cours de formation, la Cour de cassation est revenue sur une pratique bien établie et s’en remet au juge pour interpréter la volonté des parties.
En effet, on sait – et c’est le code de commerce qui nous le dit explicitement – qu’une personne morale bénéficie de la personnalité morale à compter de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés.
Or, pour des raisons pratiques, une société non encore immatriculée peut parfois avoir besoin de souscrire des engagements – comprenez ici de conclure des contrats – avant son immatriculation et donc avant qu’elle ne jouisse d’une véritable personnalité morale.
Les personnes ayant ainsi agi au nom d’une société en formation sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes et engagements souscrits jusqu’à l’immatriculation de la société et la reprise de ses actes par la société.
Pour que la société immatriculée puisse reprendre les engagements souscrits antérieurement, la Cour de cassation jugeait depuis de nombreuses années que ceux-ci devaient impérativement avoir été souscrits « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation. Les engagements souscrits « par la société » ne jouissant pas encore de la personnalité morale étant nuls.
Cette exigence ne résultant explicitement d’aucun texte, la Cour de Cassation revient sur sa position et indique dorénavant qu’il « apparait possible et souhaitable de reconnaître désormais au juge le pouvoir d’apprécier souverainement, par un examen de l’ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l’acte qu’extrinsèques, si la commune intention des parties n’était pas que l’acte fût conclu au nom ou pour le compte de la société en formation et que cette société puisse ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits. »
En d’autres termes : le seul défaut des mentions « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation ne sauraient dorénavant plus entrainer la nullité de l’acte en cause. Charge au juge d’apprécier souverainement l’intention des parties.
Relevons par ailleurs que le fait que l’engagement soit souscrit par une personne qui ne serait in fine pas associé de la société ou que la société soit constituée dans une autre forme que celle visée dans l’acte n’implique pas de facto que l’acte soit forcément nul.
Si la position de la Cour est louable, il n’en demeure pas moins que s’en remettre à l’appréciation souveraine des juges n’est pas nécessairement l’option la plus sécurisante qui soit.
Fort est donc à parier que la pratique n’évoluera guère et que les mentions « au nom » ou « pour le compte » de la société en formation continueront de fleurir.
[1] Cour de cassation, Chambre commerciale financière et économique, 29 novembre 2023, 22-12.865