Rompre une relation commerciale établie est une décision à prendre avec précaution, au risque de devoir verser des sommes importantes à son ex-cocontractant.
Retour sur un arrêt récent rendu par la Cour d’appel de Paris sur la question de la rupture d’une relation commerciale en cas de faute du cocontractant (Cour d’appel de Paris, 3 juillet 2024 n°22/14428).
La rupture de relations commerciales établies est strictement encadrée par la règlementation française, et en particulier par l’article L. 442-1 du Code de Commerce lequel prévoit :
« Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. »
Ce régime spécifique s’applique dès lors que la relation commerciale est « établie ». C’est-à-dire (i) lorsqu’existe entre les parties en cause un courant d’affaires – matérialisé par un contrat, une succession de contrats, une succession de commandes, etc. –, (ii) que ce courant d’affaires présente un caractère suivi, stable et habituel et que (iii) les parties peuvent raisonnablement anticiper une certaine continuité de ce flux.
Lorsque ces conditions sont réunies, la partie qui souhaite rompre la relation est contrainte de laisser un préavis écrit à son partenaire, pour que celui-ci puisse se réorganiser, trouver de nouveaux partenaires, etc.
Dès lors qu’aucun préavis de rupture écrit n’est laissé, ou que la durée du préavis laissé est insuffisante, la rupture sera considérée comme « brutale », et donc fautive.
Le calcul de la durée du préavis devant être laissé doit donc faire l’objet d’une analyse minutieuse, quand bien même le contrat le cas échéant conclu fixerait déjà sa durée. Les juges ne sont en effet pas liés par la durée du préavis de rupture contractuellement prévue, et analysent la situation in concreto.
La durée du préavis devant être laissé sera d’autant plus longue que la relation commerciale est ancienne au moment de la notification de la rupture, le partenaire se trouve en état de dépendance économique vis-à-vis de l’auteur de la rupture et/ou a dû effectuer d’investissements en lien avec la relation, le volume d’affaires réalisé entre les parties est important etc.
Les usages commerciaux, la présence d’une éventuelle exclusivité, les spécificités du marché et des produits et services en cause, les éventuels obstacles économiques et/ou juridiques à la reconversion de la victime de la rupture sont également pris en compte pour le calcul de cette durée.
Par exception à ce principe, l’auteur de la rupture n’est pas tenu de laisser un préavis à son cocontractant dès lors que lui est imputable un manquement suffisamment grave pour fonder la cessation immédiate des relations.
Comment déterminer l’existence d’une telle faute permettant de rompre la relation sans préavis ?
Les juges considèrent que la faute ou le manquement en cause doit être incompatible avec la poursuite, même temporaire, des relations.
Cette analyse doit être effectuée :
- de manière objective : en fonction de l’ampleur de l’inexécution et de la nature de l’obligation violée ;
- et de manière subjective : selon l’impact effectif de cette faute sur la relation commerciale en cause, les possibilités de sa poursuite et le comportement des parties.
Dans l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 juillet 2024 susmentionné, l’auteur de la rupture de la relation commerciale reprochait à son cocontractant deux fautes : (i) le dénigrement de ses produits / services et (ii) la violation d’une interdiction prévue au contrat liant les parties en cause.
- S’agissant du dénigrement: l’auteur de la rupture (spécialisé notamment dans la production, la sélection et la vente de canetons destinés à la reproduction) reprochait à son client et partenaire (spécialisé dans l’activité d’accouvage de canetons à destination de la filière foie gras française et internationale) la diffusion d’un tract auprès de l’ensemble des acteurs de la filière en vue de dénoncer certaines pratiques de ses fournisseurs (notamment la tentative d’imposer des contrats longue durée et des prix trop élevés).
La Cour d’appel considère toutefois que la diffusion de ce tract ne saurait justifier la rupture sans préavis des relations commerciales.
En effet, l’auteur de la rupture n’est pas nommé précisément par le tract et les critiques émises portent principalement sur l’organisation structurelle de la filière plus que sur les relations entre les parties en cause.
De sorte qu’aucun dénigrement des produits / services de l’auteur de la rupture n’est caractérisé.
- S’agissant du manquement contractuel reproché : le contrat de distribution formalisant les relations avait débuté entre les parties une dizaine d’années auparavant, et prévoyait expressément l’interdiction pour le partenaire d’effectuer des « mues » au terme du cycle d’exploitation des canetons acquis auprès de l’auteur de la rupture.
Concrètement, le contrat précisait que le partenaire n’était pas autorisé à exploiter les canetons achetés auprès de l’auteur de la rupture au-delà du cycle d’exploitation convenu (environ 1 an), à l’issue duquel les canetons de reproduction devaient être abattus.
Or, le partenaire pratiquait massivement les « mues » en ne respectant pas l’obligation d’abattre les canetons au terme du cycle d’exploitation susmentionné. Ce qui réduisait en conséquence ses commandes de canetons auprès de l’auteur de la rupture des relations.
La Cour d’appel considère que ce manquement justifiait la rupture sans préavis des relations commerciales en cause.
La pratique des mues était en effet de nature à avoir de lourdes conséquences pour le fournisseur, à savoir : risque d’atteinte à sa notoriété et à sa réputation ainsi que gain manqué.
La Cour relève également que les manquements en cause avaient déjà été identifiés par le fournisseur par le passé. Ces manquements avaient d’ailleurs justifié la signature du contrat susvisé. Ainsi, la réitération de la violation de l’interdiction en cause avait irrémédiablement sapé la confiance entre les parties, et rendait donc la poursuite des relations au cours d’un préavis impossible.
Il est donc primordial de faire appel à un spécialiste de la question pour analyser les différentes possibilités de rupture :
- Avec préavis : quelle durée laisser ?
- Sans préavis : une faute suffisamment grave est-elle caractérisée ?